Quitte ou double : Requiem/Impressions de Caithe

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Écrit par Samantha Wallschlaeger et Alex Kain.
Illustré par Kinixuki, partenaire créatif d'ArenaNet.

« Impressions de Caithe »

1 C'est étrange. Alors que tout se termine, je ne pense qu'à une seule chose : le commencement.

Tu étais si petite au départ. Un minuscule oiseau, éclatant comme un joyau, apprenant à maîtriser ses ailes. Chacun de tes envols me coupait le souffle. J'aurais dû passer plus de temps à chérir ses instants, ma petite. Désormais, je ne te verrai plus jamais voler.

Et Kralkatorrik, celui qui t'a enlevée à moi, nous a encore filé entre les doigts. La fin est là. Sans toi, quelles chances pourrait bien avoir la Tyrie ? À présent, il est de mon devoir d'assister à la fin de tout. De demeurer près de ta dépouille en attendant que la réalité s'effrite.

Cela ne m'effraie pas. Comment cela le pourrait-il ? Mon monde s'est arrêté quand ton cœur a cessé de battre.

L'Arbre clair, le Rêve et la tablette de Ventari nous enseignent que nous naissons déjà pleinement adultes. Mais avant toi, je n'étais qu'une enfant. Je me croyais la créature la plus importante du monde.

J'ai commis tant d'erreurs.

2 Je me demande si tu m'aurais aimée à cette époque. J'ai vu Cadeyrn supplier l'Arbre clair de changer. Nous commencions à peine à découvrir la réalité du monde au-delà de notre Bosquet paisible et sûr, et cela nous ébranlait.

La Tyrie était immense, et mère de tant de contradictions. La tablette de Ventari ne nous expliquait pas pourquoi les autres civilisations, les autres peuples, avaient des pères et des mères. Ni pourquoi ils suivaient les préceptes de dieux qu'ils ne pouvaient pas voir. Ou pourquoi certains n'en suivaient aucun.

La tablette n'expliquait pas non plus pourquoi les Asuras avaient trouvé Malomedies, l'avaient torturé au nom de la science et avaient changé sa personnalité à jamais.

Les Premiers-nés s'accrochaient à la tablette de Ventari, se réfugiaient derrière ses enseignements pacifiques. Mais les Cadets étaient frustrés et agités. Et Cadeyrn, un enfant de la lumière du jour, avait envie d'agir.

Il voulait prendre sa revanche.

3 Cadeyrn s'est tenu devant l'Arbre clair et lui a demandé d'abandonner la tablette de Ventari. Le monde nous a montré son ignoble visage, disait-il, et la tablette nous a empêchés de nous défendre. Il souhaitait que nous fassions montre de notre force. Que nous hérissions nos épines.

Je me souviens l'avoir pris pour un fou. Pour un Cadet écervelé qui ne comprendrait jamais l'importance de mener une vie paisible. J'espérais que l'avatar de l'Arbre clair apparaîtrait et le détruirait pour avoir osé professer des idées aussi ridicules.

Au lieu de cela, le silence a été sa seule réponse.

4 C'était l'un de ces moments où le destin peut basculer, où de simples mots peuvent changer le cours des choses. Si seulement j'avais pu voir une fraction de l'avenir comme toi, j'aurais agi de manière différente. J'aurais su que celle que j'étais alors n'était pas celle que je souhaite être maintenant.

Cadeyrn a été profondément blessé. C'est une évidence. Il s'était exprimé, et l'Arbre clair l'avait ignoré.

« Je suis le premier de ma génération, avait-il insisté. Je mérite d'être entendu ! »

J'aurais pu me montrer aimable envers lui, lui dire que sa vie comptait, que l'Arbre clair entendait et comprenait chacun de ses enfants. J'aurais pu faire preuve de sévérité et le traiter de traître, le prévenir que sa tendance rebelle nous mettrait tous en danger. Voilà les choses qu'il aurait dû entendre.

Mais j'étais insensible à cette époque. Et tellement superficielle.

« Pourquoi devrait-il s'en préoccuper ? avais-je répondu. Il a des milliers d'enfants, Cadeyrn. Il y a d'un côté les Premiers-nés... et de l'autre les simples Sylvaris. »

Et le pire, dans tout ça, c'est que je croyais à mes propres paroles. Je nous croyais supérieurs, les autres Premiers-nés et moi. Libérés de toute querelle générationnelle et des atrocités politiques. Parfaits et purs. Avec le temps, le dragon de la jungle devait nous prouver le contraire.

J'aimerais pouvoir remonter le temps, effacer cette suffisance dans ma voix. Apaiser le mordant des propos que j'ai adressés à Cadeyrn.

Mais j'ai parlé, et cela l'a changé. Ma cruauté a endurci son cœur et semé la graine du ressentiment. De la haine même. Je sais que je n'ai pas été la seule, mais c'est en partie de ma faute s'il a emprunté cette voie. Jusqu'à la création de la Cour des Cauchemars.

Jusqu'à Faolain.

5 Dès le moment où nous avons émergé ensemble, Faolain et moi avons été des jumelles de la même branche. Elle posait sans cesse des questions, et je ne souhaitais qu'une chose : lui apporter les réponses. Nous nous sommes aventurées dans l'inconnu ensemble et avons vu des choses aussi magnifiques que terribles. Nous nous sommes approprié le monde.

Je pensais avoir été créée spécialement pour elle. Je la croyais née pour découvrir, changer et modeler tout ce qu'elle touchait, et que moi, j'étais née pour l'aimer.

J'aimais peut-être réellement Faolain, à ma manière. Mais j'étais si égoïste à cette époque. Je crois que j'aimais simplement la façon dont on me regardait quand j'étais avec elle.

Elle le savait. Et elle en a profité.

6 Quand j'étais jeune, je pensais tout savoir. J'étais une Première-née sylvari, et la tablette nous enseignait que nous étions les créatures les plus pures du monde. Et j'y croyais, car je souhaitais plus que tout être unique. Spéciale.

Nous commencions à peine à réaliser notre insignifiance dans le monde, mais alors que cela aiguisait la curiosité de Faolain, je me suis repliée sur moi-même, devenant encore plus arrogante. Je masquais ainsi ma peur d'être ordinaire. De n'être rien.

Ce n'était là que le germe d'une faiblesse, le désir – ou plutôt le besoin – d'être exceptionnelle. Mais Faolain l'a découverte. Elle avait un don pour découvrir vos points faibles et les exploiter.

Au début, elle se montrait douce, voire romantique. Elle m'emmenait dans des clairières sous la lune, où des lucioles dansaient autour de nos pieds. Elle tressait des fleurs estivales dans mes cheveux, prenait mon visage entre ses mains et me susurrait que j'étais la personne la plus belle et la plus importante qu'elle connaisse, que j'avais un rôle à jouer... et qu'elle était fière de moi.

J'aimais sa façon de me regarder, comme si j'étais la seule créature au monde. J'avais l'impression qu'elle me comprenait mieux que personne. Ses yeux brillaient d'une telle admiration qu'il m'était difficile de détourner le regard. J'avais besoin qu'elle soit mon miroir, car il m'était impossible de voir ce qu'elle voyait. J'avais besoin de son amour pour me sentir entière.

Et c'était précisément ce qu'elle souhaitait.

7 Dépendre de Faolain semblait aussi naturel que de l'aimer. J'étais si jeune, si inexpérimentée. Je pensais que les deux allaient de pair. Je savais que tant que Faolain serait à mes côtés, je pourrais tout accomplir. J'étais prise au piège. J'étais sa proie.

C'est là que les choses ont commencé à changer.

Avec le recul, il est facile de me dire que j'aurais dû voir qui était vraiment Faolain, à quoi elle jouait quand elle m'ignorait subitement des jours entiers, avant de revenir comme si de rien n'était et de me reprocher de lui en vouloir.

Mais il est si difficile de s'apercevoir que l'on nage en eau trouble. Elle s'en assurait.

Elle me privait de l'attention dont elle m'avait couverte jusque-là. Elle me la refusait quand j'en avais le plus envie. Et quand je finissais par me mettre en colère, elle se décomposait. Elle agissait comme si c'était moi qui l'avais blessée. Elle rejetait la faute sur moi. C'était toujours de ma faute, à moi. Jamais de la sienne.

Faolain a commencé alors à me faire comprendre que je devenais ennuyeuse. Elle prétendait que sans elle, rien ne me distinguerait de la masse des autres Sylvaris. Parfois, elle se demandait même à voix haute si elle ne finirait pas par se lasser de moi. Elle savait exactement quels mots employer. Et j'étais si envoûtée que je la croyais.

J'étais prête à tout pour mériter à nouveau son attention. Je la comblais de faveurs, me faisais parfaite pour elle ou lui cherchais querelle. À mes yeux, sa colère valait toujours mieux que son indifférence. Mais rien ne fonctionnait.

Les seuls moments où elle m'accordait toute son attention, c'était pour m'examiner.

8 Faolain m'a détruite. Ce qu'elle disait aimer chez moi, ma franchise, ma tendance à préférer l'écoute plutôt que les mots, ma façon de la faire revenir dans le droit chemin quand elle dépassait les limites... elle critiquait tout cela désormais. Cela lui était même méprisable.

Elle prétendait que j'étais un frein pour elle. Qu'elle s'épanouirait bien plus sans moi, mais qu'elle restait par pitié. Et quand je décidais enfin que j'étais plus malheureuse avec elle que je ne le serais jamais sans elle, elle redevenait la partenaire aimante et attentive que j'avais connue des années auparavant. Elle me ramenait dans les clairières pour tresser des fleurs dans mes cheveux. Elle me disait que j'étais toujours unique, mais qu'il fallait que j'arrête de déprimer.

J'aimerais pouvoir te dire que j'ai fini par échapper à ses griffes, ma petite. Mais c'est elle qui m'a échappé. À la Cour des Cauchemars, elle a trouvé une communauté de Sylvaris souhaitant changer les choses, souhaitant croire en quelque chose. Et elle s'est servie d'eux aussi.

Si je suis libre, c'est uniquement parce qu'elle est partie en m'abandonnant. Je me suis appuyée sur l'Arbre clair et la tablette de Ventari pour retrouver la force qui me faisait défaut, pour tourner la page. L'Arbre clair m'a appris à vivre bien et pleinement, à ne jamais laisser une injustice engendrer le mal. Ces enseignements m'ont permis de recouvrer la paix dont j'avais tant besoin. Ils m'ont redonné une raison de vivre quand je n'en avais plus.

Mais tout ceci n'était qu'un mensonge de plus.

9 Quand Wynne m'a révélé la vérité sur les Sylvaris, le fait que nous avions été créés dans l'unique but de servir Mordremoth, j'ai à nouveau senti un grand vide à l'intérieur de moi. Les paroles de l'Arbre clair m'avaient remise sur pied, mais elles se révélaient creuses. Ce n'était qu'un mensonge commode pour donner un sens à nos vies, alors qu'elles n'en avaient aucun. Nous n'étions pas la pureté incarnée, nous n'étions que des outils destinés à un objectif précis. On allait encore se servir de moi.

J'en voulais tant à l'Arbre clair, à ma mère. Désormais, je comprends pourquoi elle nous a caché la vérité. Une mère fait tout son possible pour protéger son enfant, quitte à mentir pour cela.

J'aimerais pouvoir t'ôter le terrible savoir avec lequel tu as dû vivre, ma petite. J'aimerais changer ton destin et le faire mien. J'endurerais à nouveau toutes les épreuves que j'ai traversées si cela pouvait t'épargner.

Voilà ce qu'est l'amour.

10 Te souviens-tu de notre première rencontre ? Tu étais encore dans ton œuf, tu t'apprêtais à devenir la magnifique créature que nous avons connue.

Mordremoth m'a parlé de la même manière que le Rêve : non pas grâce à des pensées, mais par le biais des sentiments. Des désirs. Des pulsions. J'ai senti ma deuxième Grand-chasse s'éveiller dans un recoin de mon cerveau : je devais protéger l'œuf de Brill. Je devais te protéger.

Ce sentiment m'est venu si facilement. Je n'avais pas encore vu ton visage, mais je savais que tu étais très, très spéciale. Inutile de m'ordonner de te protéger, je l'ai fait par instinct.

Puis les pensées ont changé. Emmène l'œuf au Cœur de Maguuma, me disait mon instinct. J'ignorais ce que j'y trouverais, mais toutes les fibres de mon être me poussaient vers ce lieu.

Les Sylvaris ne sont pas censés s'interroger sur leur Grand-chasse. Nous sommes faits pour l'accomplir. Mais je me souvenais de ce que Wynne m'avait dit en me révélant la vérité.

Ne fais confiance à personne. Pas même au Commandant.

11 J'ai essayé de comprendre la notion qui était en train d'éclore dans mon esprit. Elle semblait tant être la mienne. Mais je savais que les murmures de Mordremoth se confondaient avec ma Grand-chasse. Devais-je simplement ignorer mes propres désirs ? Mon instinct m'appartenait-il encore désormais ? Ou me manipulait-on une fois de plus ?

J'étais plus seule que jamais. L'Arbre clair, le Commandant, Wynne... Je ne faisais confiance à personne, y compris à moi-même. Il n'y avait que nous deux et cette horrible jungle sans fin.

Alors je me suis concentrée sur toi. Je me suis entièrement dévouée à ta protection. Je comprenais l'importance de ton rôle pour le monde, et ce même si l'avenir me paraissait incertain. Mais cela allait bien au-delà de ça. Tu étais tout ce qu'il me restait. Je ne pouvais pas te perdre toi aussi. Ta perte aurait aussi été la mienne.

C'est à ce moment-là que j'ai compris que je ne serais jamais quelqu'un d'important, et que ce n'était pas grave. Aucun Sylvari n'importait vraiment. Pas plus Cadeyrn que Faolain, Wynne ou même l'Arbre clair. Nous n'étions pas des êtres purs et parfaits, et nous n'étions pas non plus les créatures les plus importantes du monde.

Mais toi, oui.

Et je devais tout donner pour te protéger.

12 L'Arbre clair nous avait protégés, moi et tous les Sylvaris, de la seule manière qu'il connaissait. Il avait occulté les terribles vérités du monde et fait de son mieux pour que nous nous sentions soutenus et en sécurité.

Cela m'a fait croire que j'étais une élue, un être spécial. Mais le but n'avait jamais été celui-là. Il s'agissait de transmettre ce sentiment à d'autres. Et je te l'ai transmis à toi, mon oiseau éclatant comme un joyau.

Te protéger ne signifiait pas te dissimuler la laideur du monde alentour. Je voulais que tu sois plus forte que je ne l'avais jamais été. Je souhaitais que tu puisses affronter ton destin avec confiance et courage. Je souhaitais, j'avais besoin, que tu sois prête.

Alors je suis restée à tes côtés et je t'ai enseigné tout ce que j'avais appris : toutes mes erreurs, toute ma souffrance. Cela t'aiderait à grandir. C'est la chose la plus importante que j'aie jamais faite, et que je ne ferai jamais. Tu serais en mesure de sauver le monde, les Sylvaris, le Rêve. Tout.

Mais tu n'as jamais représenté que cela pour moi. Tu n'étais pas que le dragon qui vaincrait Kralkatorrik. Tu étais mienne, et j'étais tienne. Tu m'as appris l'amour inconditionnel. Malgré ma réserve envers les autres, tu as vu ce que personne d'autre n'avait vu : la chaleur au fond de moi.

J'avais enfin une raison de vivre.

13 Je comprends l'Arbre clair désormais. Cette mère était forcée d'envoyer ses enfants dans un monde froid et impitoyable, en sachant que le mal ou même la mort les attendait.

Mais cette mère devait laisser ses enfants s'envoler, et même tomber afin qu'ils apprennent. Et tu étais tombée bien des fois auparavant, mais tu t'en étais toujours relevée plus forte et assurée. Et j'étais toujours là pour t'aider. Je te croyais prête. Je croyais que nous gagnerions ensemble.

Et maintenant, je t'ai perdue. Tu étais une partie de moi, et moi de toi. Comment un cœur peut-il continuer à battre quand il en manque une moitié ?

J'aurais aimé en faire plus pour te montrer l'amour que je te portais. Te montrer à quel point tu comptais pour moi, et pour nous tous.

Je n'ai plus de nouvelles du Commandant depuis des jours. Je me demande si le cœur de notre dirigeant s'est brisé en même temps que le mien. Désormais, nous sommes à court de plans. À court d'idées. Il ne nous reste plus qu'à pleurer notre dernier espoir, notre enfant perdue, et ce monde magnifique et terrible qu'elle a tenté de protéger.

J'espère te revoir bientôt, ma petite, quand tout prendra fin.

Nous avons besoin d'être avec toi pour cela, nous tous. Tu as rassemblé tant de gens et touché tant de cœurs. Nous devons affronter ce qui arrive ensemble, une dernière fois.

Je ne peux pas le faire seule. J'ai besoin d'aide pour affronter la fin de tout, l'échec de tous nos plans et de nos rêves. J'ai besoin de quelqu'un qui t'aime autant que moi.

L'heure est venue d'appeler le Commandant.

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