L’histoire de Marjory : Jusqu’à la lie

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Le jeune homme ne devait pas avoir plus de dix-huit printemps. Les lumières du Promontoire divin se reflétaient dans le sang qu’il avait versé et l’écho de son râle d’agonie résonnait encore à mes oreilles.

« Tu l’as tué ! » J’ai toujours eu le chic pour énoncer des évidences.

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« J’ai juste fait mon boulot. » Le Garde du Ministère Henrick Baker s’était approché si près de moi que je pouvais sentir l’arrogance de son haleine putride. Il portait le même uniforme rouge et argenté que moi. Il avait prêté le même serment que moi : protéger et servir le Ministère krytien et le Promontoire divin. Et pourtant, il venait de tuer un citoyen sous mes yeux. Froidement, sans procès, ni hésitation.

D’un mouvement rapide, qu’aucun de nous n’avait anticipé, je le projetai contre un mur, l’avant-bras fermement calé sous son menton, mes jambes arcboutées pour empêcher toute riposte. Une étincelle de colère nécromante s’alluma au bout de mes doigts, près de son œil, là où il ne pouvait l’ignorer.

Il détourna les yeux, comme pour s’écarter de cette menace.

Je reconnus à peine ma voix lorsque je lui dis : « On devait seulement l’amener au poste pour interrogatoire. - C’étaient peut-être tes ordres, mais pas les miens. » Baker eut le culot de se montrer satisfait, comme s’il venait de marquer un point. « Les véritables paramètres de cette mission n’étaient communiqués qu’en cas d’absolue nécessité. »

Le Ministère avait entendu dire que le jeune homme avait été témoin d’un crime particulièrement odieux. Mon supérieur immédiat nous avait donc envoyés, Baker et moi, pour l’amener au poste. L’amener. Au. Poste. Pas le tuer…

« Tu ne t’en sortiras pas comme ça, lui répondis-je, faute de meilleure répartie. - Et qu’est-ce que tu comptes faire, au juste ? Me dénoncer aux Séraphins ? L’ordre venait de tout en haut, bien au-dessus de nos rangs de larbins. Je serai sorti de ma cellule avant que les Séraphins aient fini de te cuisiner. Et c’est toi qui seras dans une sacrée panade, pas moi. »

Le nœud au creux de mon estomac me confirmait qu’il avait raison. Cela faisait déjà bien trop longtemps que la puanteur qui émanait de la Garde du Ministère me retournait les tripes. Je le bousculai une dernière fois, lui cognant la tête contre le mur avant de le relâcher.

Mais je ne lui tournai pas le dos pour autant.

« Je préfère ça, dit-il. Allez, sois pas si naïve ! Qu’est-ce que ça peut bien faire, un macchabée étranger de plus ou de moins dans cette ville ? Le Ministère assure notre sécurité et c’est tout ce qui compte. Surtout, fais pas de vagues et continue à suivre les ordres. Peut-être que t’arriveras même à monter en grade. Je retourne au bureau avant que des fouineurs se pointent. »

Je tremblais tellement que je ne pus même pas lui répondre. Je me contentai donc de le fusiller du regard alors qu’il s’éloignait, ses semelles en bois claquant sur les pavés. J’avais bu cet amer breuvage jusqu’à la lie, savouré jusqu’à la dernière goutte l’indéniable évidence que je n’étais pas là où je devais être.

« Ohé ? » appela quelqu’un d’une voix d’outre-tombe.

Je me retournai pour découvrir un spectre, le fantôme du jeune homme. Mes instincts de nécromante réagirent aussitôt à la présence du mort et je sentis une flamme s’embraser au plus profond de mon être.

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« Ohé ? » répéta le jeune homme, d’une voix où la panique commençait à poindre. « Il y a quelqu’un ? » Il me tournait le dos.

Je m’adressai à lui d’une voix des plus douces, de celles qu’on utilise pour rassurer un animal acculé ou un enfant terrifié. « Mendel. Tout va bien. Tu n’es pas seul. »

Je pouvais au moins faciliter son passage, l’envoyer dans les Brumes, où il… eh bien, personne ne savait vraiment si c’était mieux qu’ici… Sûrement pas, d’ailleurs…

« Qui… qui êtes-vous ? » L’Éther brouillait ses mots.

« Cela n’a plus aucune importance. Réponds-moi et je t’enverrai à tes dieux. De quel crime as-tu été témoin hier ? »

Les contours translucides du jeune homme frémirent et je pouvais lire la peur sur son visage. « Je… Je… »

Je l’enveloppai dans ma magie, avec la douceur d’une mère, et je le sentis se détendre. « Tu peux me parler… »

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Il enfouit son visage dans ses mains. « Ils ont emmené une… femme… dans un sous-sol. Ils ont usé de magie noire. Elle hurlait, mais il n’y avait aucun son. Sa bouche s’ouvrait, mais on n’entendait rien. Ses yeux… - Je vois. Qui a fait ça ? »

Pour la première fois, le garçon me regarda droit dans les yeux et me dit : « Le Ministre… ».

Je sentis la décharge d’énergie magique derrière moi une fraction de seconde avant qu’elle ne frappe. Le projectile frôla mon oreille gauche et, n’écoutant que mon instinct, je roulai de côté. Mais le sort ne m’était pas destiné. Il frappa le fantôme du garçon de plein fouet et le projeta en arrière, le soulevant comme un vulgaire fétu de paille.

Il poussa un terrible hurlement alors que sa poitrine implosait et qu’il fut aspiré dans les Brumes à travers une déchirure dans notre plan d’existence.

Je me relevai en toute hâte, mais il était déjà trop tard pour le jeune fantôme. Mon instinct de chasseresse prit le dessus. L’autre nécromant avait déjà mis les voiles, laissant derrière lui une traînée d’énergie que je pouvais suivre à la trace si je me dépêchais… Je ne me fis pas prier.

Au bout de la ruelle, je tombai sur une grande artère et m’arrêtai un instant pour scruter les alentours.

Un nuage d’air vicié éclata autour de moi et m’enveloppa, me retenant prisonnière. Les particules putrides qu’il contenait se collaient à ma peau, envahissant mon nez et ma bouche, me faisant monter les larmes aux yeux. Je tâchai d’y résister de tout mon être. On pourrait penser qu’une nécromante serait habituée à l’odeur, mais rien n’y fait jamais : le corps réagit sans que l’on puisse le contrôler.

Luttant contre la nausée, je continuai à fouiller les environs du regard.

Là ! Une cape noire s’évanouissait dans les ombres à l’autre bout de la rue.

Je me lançai à sa poursuite et gagnai du terrain au moment où la mystérieuse silhouette tournait à nouveau à l’angle de la rue. Mais j’avais retenu la leçon, et je m’arrêtai pour m’accroupir et jeter un coup d’œil à ce qui m’attendait de l’autre côté.

Aucun sort ne m’éclata à la figure. Personne ne m’attendait de pied ferme. Personne.

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Je me redressais lentement quand, soudain, quelqu’un surgit derrière moi et m’enveloppa. Ses bras se serrèrent autour de moi et je ne pus ni fuir, ni réagir. Un couteau vint alors s’arrêter sur ma gorge.

Je me figeai sur place. Il n’y a pas grand-chose à faire dans cette situation, après tout, à part attendre.

Un murmure près de mon oreille : « Du calme ». Je ne sentais aucune énergie nécromante émaner de mon assaillant. Ce n’était pas le suspect que je pourchassais encore un instant auparavant. « L’homme que tu cherches est un magicien mercenaire du nom de Kraig le pâle. Il est très probable que tu ne croiseras plus jamais son chemin. - Qui es-tu ? - Écoute bien, continua la voix. Il y a des forces à l’œuvre dans cette ville, dans le monde, qui causeront notre perte à tous si nous les laissons faire. À nous deux, nous pouvons changer les choses. »

Mon corps se détendait, mes sens s’aiguisaient et je reprenais enfin mon souffle. « Difficile de faire plus positif comme premier rencart… » Et j’avais même recouvré mon sens de la répartie.

« Tu l’oublieras d’autant moins facilement. Je te contacterai. Tu peux m’appeler E. »

Et avant que je m’en rende compte, j’étais libre, la gorge intacte. Je fis volte-face, mais il n’y avait plus personne. E. m’avait laissée là, seule par une nuit sans lune, au coin d’une rue pavée qui empestait les légumes pourris et les excréments de chien… Et je n’avais qu’une seule idée en tête : changer de métier.

Le lendemain, je rendais mon insigne. Le surlendemain, j’acceptais ma première affaire en tant que Marjory Delaqua, détective privée. Je m’étais engagée moi-même pour lever le voile sur la conspiration qui avait mené au meurtre du jeune fantôme. Je n’ai pas encore résolu cette affaire, mais j’y arriverai un jour. Au pire, on se retrouve tous dans les Brumes un jour ou l’autre, et les nécromants savent faire preuve de patience…

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