Quitte ou double : Requiem/Impressions de Rytlock

De Guild Wars 2 Wiki
Aller à la navigation Aller à la recherche


Écrit par Alex Kain.
Illustré par Jerome Jacinto, partenaire créatif d'ArenaNet.

« Impressions de Rytlock Brimstone »

1 « J'en sais rien. »

Ces mots me firent l'effet d'un choc, un peu comme ces munitions à pointes de la Légion de Fer qui vous déchiraient la poitrine pour se loger dans votre sternum.

Nous avions les yeux rivés sur lui. Pas sur le cadavre, non : sur le Commandant. Il avait pourtant toujours un plan ou une idée de génie pour la suite des événements.

Nous étions toujours retombés sur nos pattes.

Cette mission devait être un triomphe, notre coup fatal. Bon sang, même la prophétie prédisait notre victoire ! Mais nous avions échoué.

Aurene était morte. Les Gardiens de l'Éternité décimés. Tout comme les Héritiers du Destin.

Comme la dernière fois, je n'avais rien pu faire pour empêcher cela.

2 Aurene, morte. Kralkatorrik, envolé. Il avait tout simplement disparu dans les Brumes, et le traquer était impossible.

J'avais passé ma vie à m'entraîner avec la Légion Sanglante, et mes réflexes ne me dictaient qu'une seule chose : ramasser Sohothin et suivre sa trace. Le poursuivre. L'anéantir. Sans la moindre crainte ou hésitation.

J'aurais pu en faire davantage. Non, j'aurais dû en faire davantage. Onze ans auparavant, j'avais vu Brill tomber du ciel. Aujourd'hui, je venais de voir Kralkatorrik terrasser notre dernier espoir.

Caithe aussi était là. Je croyais qu'elle ressentirait la même chose que moi. Elle était présente la première fois, lorsque Snaff...

Je pensais qu'elle serait furieuse.

Mais ce n'était pas le cas. Le Commandant la rejoigna auprès de la victime que Kralkatorrik avait laissée dans une posture difforme : empalée, Aurene semblerait à jamais pousser un long cri d'agonie.

Dans leurs yeux, je vis des larmes, mais pas une once de rage. N'étaient-ils donc pas en colère ?

Il avait pourtant toujours un plan. Comment allions-nous l'emporter ?

Caithe, le Commandant, Taimi, Braham. Tous pleuraient la mort du dragon, mais aucun n'enrageait à l'idée que son assassin se soit échappé.

Et pourquoi diable avoir de la peine pour un dragon ?

3 « Faites-moi confiance, Rytlock. »

Combien de fois le Commandant me l'avait-il dit ?

Ce plan était stupide dès le départ. Élever un dragon au sortir de l'œuf pour qu'il en tue un autre afin d'accomplir une espèce de prophétie ?

Les Charrs ne s'occupent même pas de leurs propres petits, alors d'un dragon...

C'était une idée ridicule, mais j'avais suivi le mouvement. Pas par confiance.

Non, c'était une question de loyauté.

4 Les Charrs étaient fidèles à leur troupe, à leurs frères et sœurs d'armes.

Rien n'était plus fort que les liens tissés au combat, pas même ceux du sang. Mais au Fahrar, on nous avait appris que chacun perdrait des camarades, pour le bien de tous. La victoire avant tout. Honneur à la troupe, gloire aux Hautes Légions. Porteruine appelait ça des « pertes acceptables ».

Et puis quoi, encore ?

Les Héritiers du Destin, les Gardiens de l'Éternité. Pendant plus de dix ans, ils avaient été ma troupe. Ma famille. Ils m'avaient été fidèles, et je m'étais efforcé de l'être aussi. Ils avaient foi en moi, je devais remporter la victoire. Mais malgré ces « pertes acceptables », je n'en avais pas fait assez pour y parvenir.

Kralkatorrik était dans les Brumes. Bientôt, il les engloutirait... Ou bien il se contenterait de stigmatiser le monde tout entier.

Il nous suffisait donc de le traquer et de le tuer. Simple comme bonjour, non ?

5 Eh bien non, pas vraiment.

Seule Aurene pouvait sauver la Tyrie.

Elle devait tuer le dragon de cristal, absorber ses pouvoirs, et... Je ne sais pas. Mais nous n'avions pas de meilleure option. C'était le seul plan qui ne se soldait pas par l'anéantissement de toute existence.

Car même si, par miracle, nous parvenions à tuer Kralkatorrik sans elle, toute la puissance magique qu'il contenait – issue de Zhaïtan, de Mordremoth et de Balthazar §14 - §17...

Disons que cela risquait de faire un sacré boum.

Tous mes amis, ma famille... Ils allaient mourir dans ce monde condamné parce que j'avais échoué.

Comme toujours.

6 « Minilock ! Minilock ! Minilock ! »

Tous recommençaient à hurler en chœur autour de moi. Des mains me précipitaient au sol puis des pieds griffus me martelaient les côtes. Et noyée dans ce vacarme, ma voix, seule et faiblarde, leur criait d'arrêter. En vain. Ils ne cessaient qu'à mon réveil.

Je savais qu'un jour, je me vengerais d'eux. Mes amis et moi, nous les forcerions à arrêter. Nous leur ferions subir ce qu'ils nous avaient infligé. J'étais devenu le chef de ma troupe. Je m'entraînais tous les jours. J'avais massacré tant d'ennemis que j'avais arrêté de les compter. J'étais désormais une légende aux yeux des Charrs.

Chaque fois qu'ils m'avaient brisé, je m'étais relevé.

Je n'en rêvais jamais, d'habitude. Pourquoi, d'ailleurs ?

J'étais l'avorton de la portée. Et cela ne changerait jamais, peu importe le nombre d'ennemis que j'exterminerais ou de dragons ancestraux que je terrasserais. Même si je devenais Khan-Ur, à leurs yeux, je serais toujours Minilock.

Je ne pouvais rien y faire. Ma seule option, c'était de me relever chaque fois qu'ils me faisaient mordre la poussière. Mais même après avoir réduit ces voix au silence pour de bon, il m'était impossible de les chasser de mon esprit. Ou de les bannir de mes cauchemars.

Pas avant d'avoir trouvé Sohothin.

7 Infiltrer la Légion de la Flamme et saboter l'opération de Gaheron Feu-de-Bael de l'intérieur. J'avais toujours pensé que c'était une mission pour la Légion des Cendres. En principe, cela impliquait d'envoyer un représentant à la Citadelle noire afin de mettre sur pied une opération conjointe, mais l'Imperator Porteruine ne faisait pas confiance à la Légion, à l'époque. Cela n'avait pas changé.

Il ne faisait d'ailleurs confiance à personne.

C'est pourquoi il ne nous envoya que tous les deux, Crecia et moi. Elle me faisait penser à une lame en porcelaine canthienne : la perfection incarnée, capable de tailler n'importe qui en pièces.

D'après Porteruine, Cre convenait parfaitement à cette mission. Ce qu'il voulait dire, c'est qu'il s'agissait d'une femelle. Feu-de-Bael ne s'y attendrait pas. Il ne la soupçonnerait jamais d'être une guerrière de la Légion Sanglante déguisée. Et l'Imperator avait raison. Bon sang, pensai-je, il a toujours raison. S'infiltrer dans la garnison ne nous posa aucun problème. Il en aurait peut-être été de même pour notre mission, si je n'avais pas passé la plupart du temps à tenter d'éviter de tuer quiconque croisait mon chemin. Ça, c'était difficile.

Crecia se débrouillait mieux que moi. Elle empoisonnait la nourriture, volait des plans, échangeait des lettres d'ordres... La Légion de la Flamme ne remarqua rien. C'est alors qu'une nouvelle nous parvint. Une rumeur incroyable circulait parmi les rangs :

La Légion de la Flamme avait mis la main sur quelque chose et allait l'apporter à notre garnison. Un objet exceptionnel.

Ils avaient trouvé Sohothin.

8 Je tentai d'en savoir plus, mais fouiner et rassembler des informations, ce n'était pas vraiment mon fort. Voilà ce que nous finîmes par découvrir : la Légion de la Flamme avait envoyé des troupes dans l'Archipel des Îles de Feu à la recherche d'une relique ancienne qui avait appartenu à Rurik, un prince humain. On racontait que c'était leur dieu de la guerre, Balthazar, qui la lui avait offerte.

Lorsque nous apprîmes que l'épée devait quitter notre garnison pour la Montée de Flambecœur, où elle serait livrée à l'Imperator Feu-de-Bael en personne...

Je sus qu'il nous fallait intervenir.

9 Bien sûr, il m'était impossible de la subtiliser. Je devais faire part de mon plan à ma camarade de la troupe. Le problème, c'était que Cre prenait son infiltration tellement à cœur qu'elle semblait avoir oublié nos liens.

Lorsque je lui expliquai ce que je comptais faire, elle me dit que j'allais me faire tuer et que je la mettrais sûrement en danger elle aussi. Si je me faisais attraper, il ne leur faudrait pas longtemps pour comprendre à quel imperator nous rendions des comptes.

Mais j'étais jeune. Je me refusais à laisser Feu-de-Bael s'emparer de Sohothin, et je ne pensais qu'à...

Bref, j'étais jeune. Ou plutôt, nous l'étions.

Aussi fis-je ce qui, selon moi, était nécessaire. Je tuai les gardes qui protégeaient l'épée et m'en saisis, puis suppliai Crecia de m'accompagner. Peut-être l'envisagea-t-elle. Je ne le saurai jamais, car au lieu de me suivre, elle me planta un couteau d'office dans la jambe pour me ralentir et sonna l'alarme. Plus tard, elle expliqua à Porteruine qu'elle voulait « avoir l'air crédible » auprès de nos cibles.

En tout cas, même si cela eut l'effet escompté, j'eus beaucoup de mal à apprécier la manœuvre. Crecia resta infiltrée des années après ma fuite.

Il m'arrive encore de penser à elle, à ses traits fins et à sa silhouette élancée. La cicatrice qui orne ma jambe me rappelle ce que j'ai fait, et me pousse à me demander si Cre comptait parmi ces « pertes acceptables » dont les professeurs du Fahrar aimaient tant nous parler.

Mais au bout du compte, Sohothin était à moi.

C'était tout ce qui m'importait.

10 L'Imperator Porteruine ne fut pas très content d'apprendre que j'avais révélé mon identité, mais quand il comprit que j'avais volé l'arme secrète de Feu-de-Bael, son humeur s'en trouva considérablement améliorée.

Maintenant que j'étais de retour au sein de la troupe de Stone, Porteruine décida de nous mettre en première ligne lors de la prochaine grande attaque. Sohothin et moi serions tout devant.

Il tenait à ce que la Légion de la Flamme voie son précieux artefact aux mains de l'ennemi.

À ce qu'elle voie ses propres éléments anéantis par sa puissance.

Il voulait la voir craindre le feu.

Et elle fut terrifiée : bataille après bataille, Sohothin fendait les lignes ennemies. J'avais beau tomber sous leurs flèches, leurs lames et leurs sorts... Je me relevais systématiquement.

Ma légende grandissait, et avec elle ma puissance... ainsi que la méfiance de la troupe à mon égard.

Mais peu m'importait. J'avais Sohothin, et rien ne pouvait m'arrêter.

Je remportais bataille après bataille en mettant feu à ces fanatiques de la Légion de la Flamme aussi facilement qu'à du petit bois. Rytlock Brimstone était le Charr le plus craint du champ de bataille.

Mes supérieurs tentèrent bien de me contrôler, de me faire tomber, mais avec Sohothin en ma possession ? Personne n'y parviendrait plus jamais.

Ils étaient loin d'être ravis de la situation.

11 « Je devrais vous faire exécuter, vous le savez ? »

La façon dont les yeux et les dents de Porteruine brillaient dans cette pièce mal éclairée de la Citadelle Sanglante me marqua à jamais. Il prétendait que je ne suivais pas les ordres, que je mettais mes camarades charrs en danger. Que je me croyais meilleur que lui.

Je lui répondis que je réfléchissais aux ordres que l'on me donnait.

« Sur le champ de bataille ? ricana-t-il. Ce n'est pas le meilleur endroit pour gamberger. »

Parmi toutes les réponses possibles, je commis alors l'erreur de choisir celle-ci : « Seulement en cas de défaite, répliquai-je. Ce qui ne m'est pas encore arrivé. »

Porteruine se leva de son trône, et j'essayai de me faire plus grand. Plus digne.

« Si, en ce moment même. »

Je serrai les dents. Je savais ce qui allait se passer. Du moins, c'est ce que je croyais.

12 « Vous ne deviendrez pas gladium, dit Porteruine. Au lieu de cela, vous êtes promu. »

Perplexe, je lui affirmai pourtant que c'était un honneur. Une erreur de plus.

L'Imperator me tendit alors un lourd parchemin plié et scellé à la cire. « Vous allez rendre visite à chacune des légions, reprit-il. Peut-être votre présence saura-t-elle les... motiver afin qu'elles remportent d'aussi belles victoires que celles que vous nous avez offertes. »

Par pitié, faites-moi plutôt exécuter. Les autres légions ? Elles ne se battaient pas comme la Sanglante. Celle de Fer se recroquevillait derrière ses machines. Celle des Cendres se cachait dans les ténèbres. Mais il était inutile de tenter de le raisonner. Me savoir malheureux réjouissait Porteruine encore plus que de remporter des batailles.

Toutes mes victoires, tout le sang que j'avais versé au nom de ma légion... À cet instant, cela ne signifiait plus rien.

Je n'aurais jamais pensé me sentir de nouveau aussi impuissant.

13

(Si l'option Comme toujours. a été choisie au §5).

J'étais dans le Désert de cristal. Le sable était devenu verre. À droite, le cadavre de Brill. À gauche, son sanctuaire, qui n'était plus qu'un tas de ruines. Et devant moi, Snaff.

Ou ce qu'il en restait.

J'aurais pu faire plus pour sauver ce petit Asura. Si je n'avais pas à ce point tenu à tuer le dragon de cristal, j'aurais vu que les créatures stigmatisées le submergeaient.

J'avais toute la puissance de Sohothin avec moi, mais je n'avais pu empêcher Snaff de se faire massacrer sous mes yeux.

Mais je n'avais rien appris. Je n'y étais jamais parvenu. Il fallait que je commette d'autres d'erreurs. Que davantage de gens périssent.

Il fallait que je rencontre le dieu de la guerre et du feu pour enfin apprendre la leçon.


(Si l'option Balthazar a été choisie au §5).
J'étais dans le Désert de cristal. Le sable était devenu verre. À droite, le cadavre de Brill. À gauche, son sanctuaire, qui n'était plus qu'un tas de ruines. Et devant moi, Snaff.

Ou ce qu'il en restait.

J'aurais pu faire plus pour sauver ce petit Asura. Si je n'avais pas à ce point tenu à tuer le dragon de cristal, j'aurais vu que les créatures stigmatisées le submergeaient.

J'avais toute la puissance de Sohothin avec moi, mais je n'avais pu empêcher Snaff de se faire massacrer sous mes yeux.


J'avais rejeté la faute sur Logan. Mais...§18

14 « Est-ce votre épée ? »

Forte et profonde, la voix de l'étranger portait loin dans les Brumes. De son vivant, peut-être avait-il été un grand seigneur qui avait contrarié la mauvaise personne, ce qui lui avait valu de se faire enchaîner dans ce paysage désolé. Cela n'avait pas d'importance.

J'avais les yeux rivés sur la lame enfoncée dans la pierre et dont la flamme était éteinte depuis longtemps. Enfin, je l'avais trouvée, après tant de temps. Mais combien exactement ? Celui-ci s'écoulait d'une façon bien étrange, dans les Brumes.

« Si je pose la question, reprit-il, c'est parce que Sohothin semble s'être éteinte. »

Je me figeai, croyant sentir mon cœur s'arrêter.

« Comment connaissez-vous son nom ? »

15 L'étranger sourit. Dans les Brumes, les gens aussi sont particuliers.

« Qui n'a jamais entendu parler de Sohothin ? demanda-t-il. La lame légendaire du feu et de la guerre, désormais aux mains d'un Charr. »

Les nouvelles vont vite, me dis-je. Il proposa de la rallumer.

J'aurais dû le savoir. C'est à ce moment précis que j'aurais dû m'en douter. Imbécile.

Mais c'est aussi le moment où j'ai réalisé que je pouvais récupérer Sohothin. J'errais dans les Brumes depuis ce qui m'avait semblé une éternité. J'ai vu des batailles antiques se répéter sans cesse et pour toujours. Et à présent, j'avais peut-être une chance de retrouver la lumière. Ma lumière.

Je ne lui demandai pas qui il était ni ce qu'il faisait enchaîné là. Tout ce que je voulais, c'était retrouver ma vie.

« Vous pouvez la rallumer ? »

16 L'étranger leva le bras, et la flamme de l'épée jaillit à nouveau en perçant l'obscurité des Brumes.

J'aurais dû remarquer la facilité avec laquelle il soulevait ses chaînes. La lueur qui animait son regard avide.

Mais qu'avais-je vraiment vu ? Qu'aurais-je voulu voir ?

Des étincelles et des braises jaillirent dans tous les sens lorsque j'arrachai l'épée à la pierre. Je retrouvai enfin sa chaleur. À présent, moi aussi, je souriais. Avec Sohothin, tout avait toujours l'air un peu plus simple. « Cette lame, quelle merveille, fit l'étranger. Je le vois dans votre regard. Vous savez à quel point elle est spéciale. »

Je lui répondis qu'elle était efficace, mais inutile de mentir : je me sentais de nouveau entier. En guise de réponse, le prisonnier leva les bras pour étirer ses chaînes.

Je le libérai alors.

17 Ce qui se passa ensuite était ma faute. Tout cela parce que je voulais récupérer cette maudite épée.

J'eus beau me convaincre que j'avais agi pour libérer Ascalon de sa malédiction, je ne pus me mentir bien longtemps : si je voulais Sohothin, c'est parce qu'elle était à moi. Parce que je l'avais méritée. Ou en tout cas, que j'en avais payé le prix.

Quand l'étranger – Balthazar – avait remarqué la façon que j'avais de la regarder, avait-il vu également ce que je pensais de moi sans elle ?

Une fois que je l'eus libéré, il partit en direction d'Elona. Puis il tua Vlast. Assassina le Commandant. Passa un marché avec Joko. Et manqua de détruire le monde.

Tout cela parce que je voulais récupérer cette épée. (§6 si l'option Balthazar a été choisie au §5)

18 C'était ma faute.

Et j'étais alors aussi impuissant qu'à l'époque. Je n'avais pas pu empêcher Logan de partir. Je n'avais pas réussi à sauver Snaff, ni les Héritiers du Destin, Vlast... ou même Aurene.

Sans Sohothin, qu'étais-je ? Qui était Rytlock Brimstone sans son épée de feu légendaire ? Serais-je quand même un tribun célèbre dans chacune des Hautes Légions ?

Si je mourais et que quelqu'un récupérait ma lame, ferait-il mieux que moi ?

Mon regard parcourut les ruines du Donjon de Chef-Tonnerre et se posa sur le Commandant, Caithe, Taimi, et enfin Braham.

Mes alliés. Mes amis. Ma famille.

Mais il y avait d'autres personnes auxquelles je pensais, tout au fond de moi :

mes petits que je ne voyais jamais.

19 Je les avais envoyés au Fahrar des années auparavant. C'est ainsi que les Charrs fonctionnaient.

Je n'étais pas censé faire partie de leur vie, mais cela ne m'avait jamais paru... normal. Mes parents m'avaient laissé batailler. Le seul moyen pour un avorton de survivre au Fahrar était de se battre de toutes ses forces. Néanmoins... Je prenais de leurs nouvelles de temps en temps, afin de savoir comment ils s'en sortaient et de m'assurer qu'ils ne s'attiraient pas d'ennuis – ou qu'on ne leur en créait pas.

Je ne les reverrais plus jamais. Ils observeraient le ciel tandis que les Brumes disparaîtraient et que le monde s'éteindrait. Leur troupe serait-elle là pour les aider ? Certains étaient encore trop jeunes et n'avaient même pas quitté le Fahrar. Ils allaient mourir sans jamais connaître la camaraderie qui unissait les guerriers.

Ou les membres d'une même famille.

Et mon aîné. Mon premier né. Se donnerait-il ne serait-ce que la peine de penser à moi tandis que le monde toucherait à sa fin ?

Alors je ne pus retenir mes larmes. Enfin.

Enfin je compris pourquoi Caithe pleurait. Pourquoi le Commandant pleurait. Pour eux, Aurene n'était pas qu'un simple dragon.

C'était leur fille.

20 Onze ans auparavant, dans le Désert de cristal, j'avais compris l'étendue de mon impuissance. Même avec Sohothin, la situation nous avait totalement échappé : Kralkatorrik s'était enfui et mes amis étaient morts ou m'avaient abandonné.

Mes supérieurs auraient appelé cela des pertes acceptables.

On m'avait répété toute ma vie que ma troupe était ma seule famille et que seules importaient les Hautes Légions. Chacun de mes actes, chacune de mes victoires leur était dédiés. Tout ce qu'il me fallait sacrifier pour réussir n'était qu'une perte acceptable.

Mais à présent, je refusai de l'accepter. J'étais las de perdre des gens que j'aimais. Mes camarades. Mes amis.

Mes petits.

21 C'était hors de question. Au diable les Hautes Légions. Qu'elles soient maudites, toutes.

Je connais à peine mes petits, mais si Kralkatorrik menaçait ne serait-ce que l'un d'entre eux, je sacrifierais mon épée de malheur sans hésiter.

Je me jetterais devant eux.

Je mourrais pour eux.

Oui, je commençais enfin à comprendre.

22 « Rytlock ? » Logan. Sa voix me ramena dans le présent. « Je t'ai vu faire les cent pas. »

C'était vrai, j'avais parcouru tout le Donjon de Chef-Tonnerre. À présent, j'étais accroupi sur une pierre, dans l'ombre et loin dans des autres. Je pensais être difficile à repérer, mais apparemment, je me trompais.

« Je réfléchissais, c'est tout. »

« D'accord. » Du coin de l'œil, je le vis soulever quelque chose. « Tu as laissé ceci près du... près d'Aurene. »

C'était Sohothin. Je ne me rappelais pas l'avoir abandonnée, je me tournai donc pour les regarder, elle et Logan, en essayant de trouver quelque chose à dire.

Comme rien ne me venait à l'esprit, il finit par la poser contre le mur avant de tourner les talons.

« Logan, je... »

23 « Oui ? » dit-il en s'arrêtant.

Il attendait que je reprenne. Il était patient, j'étais bien forcé de le reconnaître. Il resta là, debout pendant un long moment, comme un gentil siège. Je lançai alors un regard à l'épée.

« Je n'en avais pas besoin. »

Il y eut un autre silence, plus long. « Viens, dit-il finalement. Allons voir les autres. Ils ont besoin de nous. »

Après tout ce qui s'était passé, comment le contredire ?

Alors que je commençais à partir, Logan posa sa main sur mon épaule. « Rytlock, ton épée. »

C'était plus qu'une simple épée, ça, je le savais. J'avais décidé longtemps auparavant que Sohothin était plus importante pour moi que Cre, que j'avais alors abandonnée. Que cette lame valait plus qu'une famille.

Mais j'aurais pu exterminer le monde entier et régner sur les quatre légions en tant que nouveau Khan-Ur que je n'aurais pas été heureux. Cela n'en vaudrait jamais la peine.

Je ne pourrais pas sauver le monde. Je n'étais même pas capable de me sauver moi-même.

Alors je me remis à marcher. « Je n'en ai pas besoin, répétai-je. Ce n'est qu'une épée. Je la récupèrerai tout à l'heure. »

Logan eut l'air méfiant : « Tu en es sûr ? »

Même avec Sohothin, je ne serais jamais aussi fort qu'il le faudrait.

Mais cela ne signifiait pas que je n'étais pas de taille pour autant : j'avais encore ma troupe... ma famille.

Et je pouvais encore me battre pour eux.

« Ouais. Tout ira bien. »

Quitte ou double - Requiem-Impressions de Rytlock.jpg